Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Les avocats doivent occuper le terrain !

Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des Barreaux depuis début janvier 2018, milite pour que, dans le cadre de la réforme à l’œuvre de la justice, les avocats aillent sur de nouveaux terrains où leur expertise peut faire la différence.

Votre profession traverse actuellement une crise. Plusieurs mouvements de grève ont eu lieu récemment.Quelle est la problématique et comment les chosespeuvent-elles s’améliorer ?

Christiane Féral-Schuhl : Les avocats ont la chance d’être dans une profession réglementée, ce qui constitue des garanties données aux citoyens. Nous avons le secret professionnel, l’indépendance, la déontologie et… deux objectifs. Le premier est de remplir totalement le périmètre du droit. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, ce qui permet à des acteurs, comme certaines legaltech, d’investir ce vide. C’est une chance sur laquelle il faut qu’on travaille. On doit aider les avocats à mieux se spécialiser, mieux identifier les zones géographiques où le besoin se fait sentir. Il existe des spécialités où ils sont insuffisamment présents, par exemple en matière de fiscalité. On peut aussi citer la cybersécurité où les attentes sont gigantesques. Par ailleurs, au-delà de ce périmètre, rien n’empêche les avocats d’occuper le terrain et là, les garanties qu’ils offrent sont un atout de compétitivité qu’ils n’exploitent pas. Je ne suis pas convaincue qu’il y ait trop d’avocats, au contraire. Nos concitoyens ont pris la mesure de leurs droits, pas toujours de leurs obligations, mais il y a un besoin. Les avocats sont parfaitement conscients que la justice a besoin d’être réformée. Nous avons aussi dans nos rangs beaucoup de jeunes intégrés dans la société du numérique, et de plus en plus de clients ont des exigences en la matière. Mais, deux difficultés se sont produites dans cette réforme : le curseur numérique a été placé beaucoup trop loin. Là où il devrait simplifier les relations d’un point de vue administratif, le volet humain de la justice a été gommé. On a perdu l’accès au juge, l’oralité. Le second problème c’est la déjudiciarisation : cette notion, pour moi, devait ouvrir en grand les portes pour les avocats qui sont des acteurs de la démocratie. Cela devait permettre d’investir la médiation, la procédure participative, toutes ces matières dans lesquelles leur expertise et leur expérience, leur déontologie pouvaient apporter des solutions constructives.

Et ce n’est pas ce qui s’est produit ?

C. F.-S. : Non, les initiateurs de la réforme ont choisi des acteurs privés, des associations avec des missions de service public et donné une place aux legaltech sans labellisation. Les pouvoirs publics parlent d’une certification facultative là où nous disons qu’elle doit être obligatoire. Nous touchons à la justice qui est un pilier de la démocratie et on n’a pas à ouvrir les portes de la concurrence sur un domaine aussi sensible. Cela ne signifie pas qu’on ne peut pas travailler avec des acteurs privés, mais dans le cadre de marchés encadrés, fournissant des garanties, et l’open data en fait partie. L’avocat doit pouvoir conserver son métier de tradition et, dans le même temps, innover. Je connais personnellement deux avocates qui ont créé une application en matière de droit de la famille qui permet à leurs clients d’être accompagnés dans tous les actes après le divorce (passer d’un compte joint à un compte séparé, par exemple…) Autant de petites questions qui nous échappaient. C’est, je trouve, une prolongation intelligente de leur métier et une manière d’appréhender les besoins des clients.

L’avocat d’aujourd’hui est-il très différent de ce qu’il était il y a 15 ou 20 ans ?

C. F.-S. : Il y a plusieurs métiers dans notre profession. L’exercice traditionnel, l’image de l’avocat plaidant au pénal, existera toujours. Mais, le conseiller pour une restructuration ne pense pas et n’agit pas comme le pénaliste. Pourtant, nous avons des valeurs communes. Les avocats doivent investir les nouveaux champs qui s’ouvrent à nous. Les outils de notre exercice professionnel mutent. Aujourd’hui, l’exercice de la profession n’a plus rien à voir avec ce qui se pratiquait il y a 30 ans. L’un des fondements du débat judiciaire, c’est le débat contradictoire. Pourtant, on a aujourd’hui, avec les gilets jaunes, l’impression que la contradiction est devenue plus difficile à accepter. 

Les avocats n’ont-ils pas un rôle à jouer
pour faire évoluer ce contexte ?

C. F.-S. :  On le fait déjà, mais ce n’est peut-être pas assez audible. Plus globalement, ce qui m’étonne, c’est qu’il y a une parole désinhibée, des clients agressent des avocats, on trouve aussi moins de respect entre avocats. Partout, il y a cette dégradation du dialogue. J’ai incité à participer aux états généraux de l’avenir de la profession, lancés bien avant le grand débat national et qui doivent se conclure fin juin, à Paris. Plus de 1 400 propositions ont déjà été faites.

Quel regard portez-vous sur l’état de la justice en France ?

C. F.-S. :Sans surprise, elle a besoin d’une réforme ! Nous la voulions de plus grande ampleur, mais il y a un problème
de méthode : nous n’avons pas de vision globale. Nous avons aussi le sentiment qu’on cherche à régler les problèmes par
une gestion de flux, de stocks, et un basculement vers des
acteurs privés.

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