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L’e-commerce en mutation

La pandémie a eu raison des taux de croissance à deux chiffres du e-commerce, mais celui-ci a gagné de nouveaux adeptes pour les courses alimentaires, et permis à des petits commerçants d'amortir le choc de la crise.

Amazon obligé par la justice de stopper son activité ; des commerçants de quartier qui compensent une partie de leurs pertes en vendant via Internet ; 40 millions de Français qui achètent des pommes ou DVD en ligne… L’e-commerce a été au cœur du confinement, dans les débats et dans le quotidien de chacun, ou presque. Et si l’e-commerce a lui aussi souffert de la crise, cette dernière a fait germer ou renforcé des tendances qui lui sont favorables, montrent des études présentées par la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad). Le 28 mai, elle dévoilait son baromètre d’activité du premier trimestre 2020. Il présente « deux records », pointe Marc Lolivier, délégué général de la Fevad : « la plus faible croissance jamais enregistrée par le baromètre, et un chiffre négatif sur mars, avec un recul des ventes ». La croissance du trimestre a été fortement ralentie, mais la tendance demeure néanmoins positive. Ainsi, le chiffre d’affaires a progressé de 1,8 % par rapport au 1er trimestre 2019, atteignant un montant de 25,3 milliards d’euros. Dans le détail, après une croissance de 8 % en janvier et février par rapport à l’année précédente, en mars, le chiffre d’affaires s’est contracté de 10,1 %.

Mais les différents types de commerçants et secteurs ont connu des évolutions diverses. En particulier, « le secteur du voyage a connu un très net recul, avec une chute du chiffre d’affaires de 60 % en mars. Le tourisme représentant environ la moitié des parts de marché, son impact est très important », constate Marc Lolivier. D’autres secteurs ont pâti, comme la décoration et l’ameublement, ou encore la mode, même si celle-ci a récupéré en avril le retard pris en mars. 

50 % D’E-ACHETEURS EN PLUS DE PRODUITS ALIMENTAIRES

Faut-il y voir le changement le plus marquant du confinement, en matière d’e-commerce, à la fois du point de vue de l’offre et de la demande ? Dans le monde, en un mois, 26 % des foyers ont acheté des produits alimentaires en ligne, d’après une étude Nielsen/Fevad. Et si l’Asie a montré la voie, en Europe, la France fait partie des pays où cette tendance s’est le plus fortement affirmée, pour se poursuivre même après le confinement. Durant toute cette période, dans l’Hexagone, la progression des ventes agroalimentaires en ligne est restée supérieure à celle des ventes en circuit physique. Le nombre d’e-acheteurs s’est multiplié : il est passé de 5 millions mensuels à 7,4 millions, lors du premier mois de confinement… soit 50 % de plus. Les foyers retraités, en particulier, sont largement surreprésentés par ces nouveaux adeptes du Web alimentaire. En termes de circuits de distribution et d’offreurs, des évolutions se sont produites. Les drives des enseignes d’hypermarchés et supermarchés qui concentrent l’essentiel des ventes (plus de 90 %), ont vu leur chiffre d’affaires multiplié par trois durant le confinement. À l’issue de la crise, ils sont devenus le mode de distribution principal de 10 % des ménages, contre 5 % précédemment. Autres modalités, la livraison à domicile d’acteurs généralistes et les drives piétons des hypermarchés et supermarchés. Ces derniers ont atteint un chiffre de 35 000 euros par semaine, en moyenne. Quant à la livraison à domicile, elle a explosé : + 120 % durant certaines semaines.

Au total, ces acteurs du e-commerce ont profité de la période de confinement pour accélérer leur croissance, notamment en développant le click and collect, pratique pour contourner les problèmes logistiques. En particulier, les magasins de proximité ont saisi cette opportunité en ayant recours aux places de marché. D’après les indicateurs de la Fevad, le chiffre d’affaires de ces dernières a progressé de 5,5 % durant le trimestre, avec un pic en mars (+ 8 %).  

DES OPPORTUNITÉS POUR LE COMMERCE DE PROXIMITÉ

Reste à savoir ce qui restera de ces bouleversements. « En temps normal, la première des motivations pour l’achat en ligne est liée à sa praticité. Durant le confinement et même après, le premier avantage souligné par les sondés est d’éviter de s’exposer à des risques sanitaires en restant chez soi. Cette tendance s’est maintenue après le déconfinement », explique Jamila Yahia-Messaoud, directrice de département chez Médiamétrie, qui présentait l’enquête « E-commerce et confinement », réalisée pour la Fevad. Mais déjà, durant le confinement, des internautes ont fini par abandonner les achats alimentaires en ligne, jugeant l’offre trop limitée ou coûteuse. Pour autant, de manière générale, 35 % des sondés reconnaissent que le confinement aura eu un impact sur leurs habitudes de consommation : ils achèteront désormais davantage sur Internet. « Une conversion s’est effectuée auprès d’une partie de la population », estime Jamila Yahia-Messaoud. L’expérience est allée jusqu’à engendrer de nouvelles attentes : « 75 % des cyberacheteurs attendent de voir leurs commerces de proximité proposer des services en ligne de livraison à domicile ou de retrait en magasin », ajoute-t-elle.

La tendance pourrait contribuer à redéfinir les conditions de la compétition entre les différents types d’e-vendeurs. Durant la crise, déjà, les enseignes traditionnelles ont reporté une partie de leurs ventes en ligne, et leurs sites Internet ont affiché des taux de croissance bien supérieurs à ceux des pure playeurs. Par ailleurs, l’e-commerce « a joué le rôle d’amortisseur économique. Beaucoup de commerçants qui avaient dû fermer ont développé des livraisons, des click and collect. Parmi eux, il y a beaucoup de PME et de TPE », précise Marc Lolivier.