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Concurrence déloyale, quelle réparation du préjudice ?

En situation de crise, les comportements sont souvent exacerbés, les meilleurs comme les pires. L’entreprise peut avoir à faire face à de nouvelles situations de concurrence déloyale. Or, devant un litige, il est souvent difficile de chiffrer le préjudice ainsi subi. Décryptage.

Au-delà des détournements de clientèle, de collaborateurs, de vol de savoir-faire, deux préjudices d’ordre moral sont plus délicats à appréhender : ceux liés à une perte d’image de marque et à la désorganisation de l’entreprise, consécutive aux troubles rencontrés.

Selon le principe retenu en droit, la victime d’un acte de concurrence déloyale ou parasitaire doit établir que cet acte lui a causé un préjudice licite, personnel, direct et certain. De ce fait, il est nécessaire de prouver l’étendue du préjudice dont elle demande réparation (CA Toulouse, 14 mai 2015, n°11/05916, considérant que la société « fait état d’une perte d’image importante aux yeux des consommateurs, notion subjective qui impliquerait, pour être prise en compte, de ne pas être seulement affirmée »).

LE PRÉJUDICE D’IMAGE

La Cour de cassation considère qu’un acte de concurrence déloyale a forcément pour conséquence un trouble commercial (Cass. com., 9 oct. 2001 : Resp. civ. et assur. 2002, Cass. com., 12 mai 2004 – Cass. com., 31 mars 2004). En effet, la Cour a posé un principe de présomption selon laquelle un « préjudice s’infère nécessairement d’un acte de concurrence déloyale » (Cass. com., 22 oct. 1985, n°83-15.096), ce préjudice « fût-il seulement moral » (Cass. com., 18 déc. 2007, n°05-13.697), ou qu’il « s’infère nécessairement d’actes […] de concurrence déloyale un trouble commercial générant un préjudice » (Cass. com., 28 sept. 2010, n°09-69.272).

Le mécanisme de présomption dispense le demandeur de l’obligation de prouver les conséquences dommageables de la déloyauté dont il se prétend victime (CA Toulouse, 14 mai 2013, n°11/05916 ; Propr. ind. 2013, chron. 8, n°18, J. Larrieu. – CA Lyon, 25 juin 2015, n°13/043654). Toutefois, seule une analyse précise et détaillée de son préjudice lui permettra d’obtenir une condamnation à hauteur des montants allégués.

Le préjudice subi peut être d’ordre moral, notamment constitué par l’atteinte portée à l’image de marque de l’entreprise. C’est, par exemple, le cas de propos dénigrants (CA Paris, 29 mars 1993 : D. 1994, somm. 223, obs. Y. Serra. – CA Versailles, 17 mai 1994).

De même, le préjudice peut résulter de la banalisation d’une image publicitaire (Cass. 1ère civ., 19 oct. 2004). C’est l’économie indûment réalisée par le parasite qui sert de base à l’évaluation de l’indemnité due. 

À l’inverse, la perte de notoriété ou d’impact sont des dommages difficilement chiffrables, à moins que le demandeur soit en mesure de prouver que les agissements parasitaires l’ont conduit à engager de nouveaux investissements, destinés à pallier l’atteinte portée à ses produits ou à son image de marque (Cass. com., 17 mars 2004).

La démonstration de l’existence d’un préjudice n’est pas une condition de recevabilité de l’action en concurrence déloyale ou parasitaire (Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-25.210).

PEUT-ON SE FAIRE INDEMNISER

LA DÉSORGANISATION DE L’ENTREPRISE ?

Les troubles causés peuvent avoir pour conséquence de mettre à mal le modèle économique d’une entreprise, de lui faire perdre son avantage concurrentiel et sa valeur économique. Il en résulte une véritable désorganisation de l’entreprise victime.

Pour établir ce préjudice, il sera nécessaire de mettre en avant l’existence de manœuvres ou de pratiques particulières. Le simple déplacement de clientèle au profit d’un concurrent ne peut être sanctionné. Doit être démontrée une véritable désorganisation d’un modèle économique, non un simple passage à vide ou un moins bon résultat. Ce n’est pas un problème conjoncturel, mais un bouleversement structurel qu’il s’agit ainsi de mettre au jour.

Ont été ainsi condamnés par les tribunaux :
– le non-respect d’un réseau de distribution mis en place par un concurrent, même si le simple fait d’acquérir, puis de commercialiser des produits, objet d’un contrat de distribution exclusive, n’entre pas dans le cadre de la concurrence déloyale (Cass. com., 6 mai 2003, n°01-11.323) ;
– le détournement de clientèle tel que le fait, pour le cédant d’un fonds de commerce, de conserver et de démarcher la clientèle du cessionnaire (CA Aix-en-Provence, SARL Soglicor c/ SARL Socomrest ; Contrats, conc. consom. 2013, comm. 130). La Cour de cassation invite à rechercher l’existence d’une véritable désorganisation, et non d’une simple « perturbation » (Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-19.443, P+B, SA Asterop c/ SA Géo Concept).

Le préjudice résulte de la démonstration de la perte d’un avantage concurrentiel, suite à une faute du concurrent. Sous ces conditions, des condamnations à hauteur des préjudices allégués peuvent être obtenues.